LES CHEMINS DE LA PEINTURE...
Le 30 juin 1944 je naquis à Dijon. L'accoucheur fut formel tout lui sembla normal. Pouvait-il remarquer cette Muse qui, avec attendrissement était penchée sur mon berceau ? Lorsqu'elle prit pour moi figure humaine ma Muse avait un gros ventre et une belle moustache grise. Dès cette tendre époque elle m'avait fait don, pour calmer mes ardeurs et sauvegarder sa sieste, d'une boîte d’aquarelle.
Sous son ceil assoupi mais toujours complaisant, j'entrais dans le mystère d'une création où se mêlaient d'une façon pas toujours harmonieuse l'eau d'un gobelet (qu'il ne fallait pas renverser) et une peinture qui d'emblée semblait prendre un malin plaisir à contrarier mes projets créateurs.
Ma Muse sommeillait, parfois même elle ronflait ! Ce point inhabituel chez une Muse aurait dû m'inquiéter. Mais lorsqu'on est enfant on est sans expérience et je croyais alors fermement qu'une Muse honorable devait porter moustache, avoir quelque embompoint, se prénommer Léon et être pour le moins Professeur de Dessin.
Ma Muse, mon grand-père, était à la retraite ! Je fus, je le crois bien, son tout dernier élève. Élève n'est pas le mot, complice ou compagnon serait plus judicieux. Compagnon, je l'étais quand il m'accompagnait à la découverte des Arts mais aussi des hommes et de leurs techniques. Complice je le devins quand passant derrière moi il corrigeait discrètement l'épreuve, contrastait un objet, atténuait une ombre, retrouvait une lumière.
Je dois beaucoup à cet homme remarquable d'affection et d'intelligence et entre beaucoup d'autres choses de m'avoir appris à regarder et aimer le monde au quotidien.
L'aquarelle était mon univers d'enfant. Il allait disparaître. Je venais de tomber amoureux... à Montmartre s'il vous plait. Lorsque j'en fis la connaissance elle était brune, métallique, étincelante... La truelle de ce peintre montmartrois me séduisait au point que j'eus l'audace de la prendre dans ma main et de pénétrer ainsi un monde nouveau : celui de la peinture à l'huile.
L'objet inanimé possédait bien une âme et l'âme était damnée... Les premières victimes de notre union furent tout naturellement les monts du mâconnais, le pays de Solutré et les églises clunisiennes. Mais nous n'avons pas épargné non plus les toits du Périgord et les vieilles pierres du Lot qui était devenu mon pays d'adoption et d'affection.
Notre union connut parfois de difficiles moments... Le même quotidien trop longtemps partagé, sans grande nouveauté, créait la lassitude... Je me pris à rêver de nouvelles sensations, lui devins infidèle, j'achetai des pinceaux l...et puis tout explosa, sans retenue aucune, j’utilisai toutes les techniques possibles sans en épouser une seule…puis sans doute par nostalgie je me tournai à nouveau vers l’aquarelle.
Je dois le confesser de ce ménage à trois naquirent beaucoup d'enfants...
Bernard BODELET